Les Cahiers de Persault

"Illuminer grâce à la lumière du Christ notre Seigneur" - saint François Xavier

01 août 2006

Pèlerinage à Javier (II)

Texte modifié le 2 septembre 2006.

UN PEU DE GEN
EALOGIE

Les aïeux paternels de François, les Jasso [Jaxu en basque, Jaso en espagnol], appartenaient à une famille de petite noblesse aisée “d’au-delà des cols” [Ultrapuertos], comme on disait en ce temps-là, c'est-à-dire de Basse-Navarre, sur le flanc aujourd’hui français des Pyrénées.

La Navarre, qui avait pour capitale Pampelune, s’étendait alors des environs de Tudela, au sud, à celles de Labastide-Clairence et d’Hasparren, au nord, d'un côté et de l'autre des Pyrénées. Elle était administrativement constituée de six merindades, c'est-à-dire de provinces.

La merindad d'Ultrapuertos, appelée aussi Basse-Navarre, était l'une d'elles et avait pour chef-lieu Saint-Jean-Pied-de-Port. Elle se composait des pays de Cize, de Baïgorry, d'Arberoue, d'Irissary, d'Ossés, de Mixe, d'Ostabaret, d'Iholdy, d'Armendartiz et de La Bastide-Clairence. Dans le Mémoire du prince de Viana présenté, en 1456, au conseil royal de Charles VII (B.N., mss., Fonds Dupuy, vol. 761 f° 27), "Ultrapuertos" est joliment traduit par «le pais deça les montaignes». "Puerto" (terme présent dans Saint-Jean-Pied-de-Port), signifie plus précisément, en espagnol, le col de montagne. Les cinq autres merindades étaient les suivantes : Estella, Olite, Pampelune, Sanguësa, dont dépendaient les terres de Javier, et Tudela. Dans le dessin ci-dessus, on voit clairement la distribution administrative de l'ancien royaume, ainsi que la localisation des quatre origines familiales principales de la famille de saint François-Xavier, accompagnées de leurs armoiries respectives [source].

“Jaxu”, en basque, signifie “lieu des genêts”. Dans la symbolique des fleurs, le genêt, dit-on, est le symbole de l'humilité. On peut encore voir la maison “Lascorrea”, à Jaxu, à 9 km au nord de Saint-Jean-Pied-de-Port, d’où serait originaire cette famille, et qui est toujours vénérée comme un berceau de celle de notre saint [ci-contre : Lascorrea].

Les armoiries des Jasso étaient les suivantes : Sur champ d'argent, un ours passant au pied d'un chêne [“En campo de argent (sic) un oso arrimado en travi(e)so al pie de un encino”].

Les Jasso étaient cependant implantés à Saint-Jean-Pied-de-Port dès 1435. Tel est le cas de Pierre de Jasso, arrière grand-père de François. Il eut trois fils : Arnault, Bernalt et Pierre-Pérez (autrement dit, Pierre, “fils de Pierre”). Ce dernier était, dit-on, “vecino de San Juan”, ce qui paraît indiquer qu'il y était domicilié. En effet, selon le Diccionario de la lengua española, le “vecino” (le voisin), mot qui vient du latin “vicus” (quartier, lieu) désigne «celui qui habite avec d’autres dans une même commune, quartier ou maison, dans une habitation indépendante» ou qui «a sa maison ou son foyer dans une commune» aux charges de laquelle il contribue, même s’il n’y vit pas actuellement.

Pierre-Pérez fut nommé bailli, c'est-à-dire gouverneur de Saint-Jean-Pied-de-Port par le prince Charles de Viane, lui-même gouverneur du royaume de Navarre, le 14 juin 1444 et fut receveur des deniers royaux en Basse-Navarre. Dans la guerre civile qui opposa, à partir de 1450, le prince de Viane à son père, le roi Jean d'Aragon, au sujet de la dévolution de la couronne de Navarre, Pierre de Jasso demeura fidèle à ce dernier. On possède en particulier ses comptes pour les années 1451-1455, période au cours de laquelle ses fonctions de percepteur furent plus que difficiles. Il mourut sans postérité [ci-contre: Charles, prince de Viane].

Son frère Arnault s’établit à Pampelune, avec sa femme, Guillermina de Atondo, qu’il épousa en 1441 et dont la famille appartenait elle aussi à ce qu’on appelait alors la “noblesse de service”, c'est-à-dire celle qui était vouée à l’exercice des fonctions administratives, par opposition à la “noblesse militaire”, d’origine guerrière, qui avait pour fonction d’organiser la défense du royaume. Les armes de la maison d'Atondo étaient les suivantes : Sur champ d'azur, deux bandes d'or et, entre elles, deux croissants d'or [“En campo azul dos bandas de oro y entre ellas dos lunas crecientes de oro”].

Seigneur des palais d'Idocin et de Zariquegui, Arnault servit le prince de Viane. Grâce à l’influence de son beau-père, il obtint une charge importante à la Chambre des comptes, dont la mission était de contrôler les dépenses publiques. Les portes de la haute noblesse navarraise lui furent ainsi ouvertes, ainsi que l'accès aux Cortes. Ces dernières, qui étaient composées des représentants de la noblesse, du haut clergé et des cités, avaient pour objet d’approuver les demandes d’argent du roi, ou la création de nouveaux impôts, et de proposer des changements législatifs. Une sœur d’Arnault, Anne, épousa Martin de Huarte (ou d’Huart), licencié en droit, lequel devint conseiller du roi et de la reine de Navarre. Arnault et Guillermina eurent six enfants, dont le cinquième s’appelait Jean, père de notre saint.

Jean fit ses études à l’université de Bologne, en Italie, dont il obtient le titre de docteur en droit canonique le 16 novembre 1470. Pour la petite et la grande histoire, il faut signaler que, parmi les témoins qui figurent sur le titre original de doctorat, apparaît le nom de Pierre d’Arbués. Celui-ci (né en 1441), qui était déjà docteur ès arts de l’université de Huesca, obtint son diplôme de docteur en théologie le 27 décembre 1473 dans la même université de Bologne. Il devint chanoine régulier de saint Augustin à Saragosse un an plus tard, travailla avec Thomas de Torquemada, et fut nommé par lui premier inquisiteur d’Aragon en 1484. Il mourut martyr dans la nuit du 14 septembre 1485, poignardé par des conversos dans le chœur de la cathédrale de Saragosse, alors qu’il y était en prière. Pie XI l’a canonisé le 29 juin 1867 (ci-contre : le martyre de s. Pierre d'Arbués, eau forte de Franceso Cecchini).

Homme érudit, Jean de Jasso sera connu plus tard sous le nom de “Docteur”. Il occupa de hautes charges en Navarre. A la Chambre des comptes, tout d'abord, dont il a déjà été question. Mais encore à la Cour royale, qui était une juridiction dont la compétence s’étendait à tout le royaume, et dont les décisions pouvaient faire l’objet d’un recours devant le Conseil royal. Il fut également président de ce dernier. Ce Conseil était l'organe de gouvernement chargé d’assister et de conseiller le souverain mais il pouvait remplir la fonction d’un tribunal suprême. En 1472, Jean devint l’équivalent d’un ministre des finances du royaume, au service de Jean III d’Albret et de Catherine de Foix. Il remplit également des missions diplomatiques pour son roi auprès de la cour de Castille. Jean de Jasso épousa, en 1483, Marie de Azpilcueta (vers 1464-1529) et devint, par ce mariage, seigneur de Javier et d’Apilcueta.

La famille paternelle de Marie de Azpilcueta, originaire de la vallée de Baztan, au nord de la Navarre espagnole actuelle, appartenait à la petite noblesse. Les armes de cette maison étaient les suivantes : Echiqueté d’argent et de sable [“Con tablero de ajedrez blanco y negro”]. On a noté à raison que «la fortune des Azpilcueta pesait moins lourd que leur épée ; mais ils avaient pour eux l'antiquité de leur nom» (A. BELLESSORT, Saint François-Xavier, l’apôtre des Indes et du Japon, Perrin 1937, p. 4). L'affirmation selon laquelle leur palacio était déjà debout au temps de Charlemagne paraît cependant tenir de la légende. Le nom d’Azpilcueta fut illustré encore, quelques années plus tard, par le célèbre juriste Martin de Azpilcueta (1493-1586), également connu sous le nom de “Docteur Navarre”, et dont nous aurons peut-être l’occasion de reparler.

La famille maternelle de Marie, les Aznarez de Sada, appartenait en revanche à la haute noblesse. Deux sœurs en furent les héritières : Marie et Jeanne. Martin de Azpilcueta épousa Marie en 1463. Bientôt veuf, et après dispense pontificale, il épousa Jeanne. De nouveau veuf, vers 1477, Martin de Azplicueta épousa encore en 1499 Isabelle d’Echaux, du vicomté bas-navarrais de Baïgorry, laquelle eu raison de lui trois ans plus tard, avant de refranchir les Pyrénées, chargée des riches dépouilles du noble défunt.

LA PROCHE FAMILLE DE FRANCOIS-XAVIER

C’est du deuxième mariage de Martin de Azpilcueta, avec Jeanne de Aznarez de Sada qu’est née Marie, la femme de Jean de Jasso. Jean de Jasso et Maria de Azpilcueta eurent cinq enfants :

Madeleine, dont on disait qu’elle était très belle, et qu’on appelait « le lys de Javier », entra au service d’Isabelle la catholique puis chez les clarisses de Gandia (Valence), dont elle était abbesse à sa mort († 1533).

Anne (née vers 1492), la seconde sœur, a épousé Diego de Ezpeleta, seigneur de Beire. Cette famille est connue depuis le XIème siècle. Son berceau est dans la commune d'Espelette (64)

Michel (vers 1495-1542), qui sera appelé « seigneur de la maison et du lieu de Xabier », épousa Isabelle de Goñi y Peralta, fille du seigneur de Tirapu.

Jean (vers 1497-1556), dit Jean d’Azpilcueta, était capitaine.

Enfin, François, le cadet, né le 7 avril 1506, mardi saint, est l’Apôtre des Indes. On dit que ce jour-là était célébrée, dans l'église de Javier, la fête de saint Vincent-Ferrier, patron de l'Occident.

Telle est la famille, prestigieuse, de ce grand saint. Nous verrons plus avant en quelles tourmentes elle fut plongée et déchirée avant que le jeune François, meurtri par cette expérience, ne parte faire ses études à Paris pour y trouver sa vocation.

(à suivre)



Photos : (1) Maison Lascorrea, à Jaxu - (2) Armoiries figurant sur le château de Javier, associant notamment les familles Jaxu, Atondo et Azpilcueta.

Pèlerinage à Javier (I)

L’ANNEE JUBILAIRE

1.- L’Eglise catholique fête cette année le 500ème anniversaire de la naissance de saint François-Xavier. Cette année jubilaire est aussi celle de saint Ignace de Loyola, mort il y a 450 ans, et celle du bienheureux Pierre Fabre, né il y a 500 ans, trois saints qui ont eu le bonheur de se rencontrer, à Paris, en 1530.

A l’occasion de ce jubilé, et pour des raisons personnelles, j’ai pu me rendre en famille sur les lieux mêmes de la naissance de saint François-Xavier, en Navarre espagnole. Il m’a semblé qu’il était utile de publier un petit compte-rendu de cette visite et, surtout, à cette occasion, de faire mémoire de ce grand saint.


UN SAINT ET UN PELERINAGE A CONNAITRE

2.- François [Francisco] est né le 7 avril 1506 au château de Javier, en Navarre, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de la capitale du royaume, Pampelune, tout près de la frontière aragonaise.

Il est mort à l’âge de 46 ans, le 3 décembre 1552, abandonné sur l’île de Sancian, à 100 km de Hong-Kong, après onze années d’un intense apostolat, sans être jamais revenu chez lui. Son corps est vénéré à Goa.

Je ne m’attarderai pas ici à rappeler les épisodes de sa vie, ni de ses innombrables voyages qui ont porté ses fils à le comparer à saint Paul. Si l’on n’en connaît encore rien, on pourra en faire une première découverte sur le site des jésuites de France [ici]. Les plus jeunes (et ceux qui le restent !) pourront lire la bande dessinée intitulée “Xavier”, réalisée en 1953 par un (alors) jeune jésuite, Pierre Defoux pour le journal… Spirou. Terminé par son auteur quarante plus tard, cette belle histoire est publiée (2005) par les éditions Coccinelle BD, en deux volumes [tome 1 : “Ouvrir un avenir” ; tome 2 : “Enjamber les limites”]. Les ouvrages parus par ailleurs sur ce saint sont innombrables. Plus de 3000 études ou ouvrages ont été écrits à son sujet. On pourra néanmoins se reporter à l’ouvrage bien connu de Xavier Léon-Dufour, Saint François Xavier, Itinéraire mystique de l’apôtre, coll. Christus n° 86, Essais, Desclée de Brouwer/Bellarmin, Paris, 1997 (350 p.).

Je ne saurais trop recommander aux hispanophones (et mêmes aux autres !) de se reporter aux pages proposées par la Direction générale des enseignements scolaires et professionnels de Navarre. Cet organisme a réalisé un très beau site, auquel je dois beaucoup, sur le thème suivant : «Le monde de Javier : une vision du XVI° siècle à travers la vie de saint François-Xavier », dont il a fait intelligemment un sujet de concours pour les enfants navarrais du primaire à la terminale, de janvier à juin dernier [Ici]. Imaginons, ne fût-ce qu’un instant, que le ministère de l’éducation nationale français propose un travail de ce genre sur saint Louis, sainte Jeanne d’Arc ou saint Louis-Marie Grignon de Montfort !

S’agissant enfin du pèlerinage à Javier lui-même, on consultera, toujours dans la langue de Cervantès, mais aussi en anglais ou en basque (le français, pourtant prévu, n’est pas accessible, non plus que l’italien ou le portugais), le site de qualité réalisé conjointement par le gouvernement de Navarre, le sanctuaire de Javier, l’archevêché de Pampelune et la mairie de Javier [Ici].


LE PATRON DES MISSIONS ET DE LA NAVARRE

3.- Le pape Grégoire XV a canonisé saint François-Xavier en 1622, en même temps que saint Ignace de Loyola, son cousin et, avec lui, co-fondateur de la Compagnie de Jésus [le même jour étaient canonisés sainte Thérèse d'Avila, saint Isidore le laboureur et saint Philippe Néri]. Le 11 juillet 1624, les Cortes de Navarre l’ont déclaré patron du royaume, patronage qu’il partage avec saint Firmin, premier évêque de Pampelune. Pie XI, en 1927, l’a déclaré patron des missions catholiques.

Le 27 septembre 1985, le parlement de Navarre a approuvé à l’unanimité une loi foral de deux articles qui a fait du 3 décembre, jour anniversaire de la mort du saint, le “Jour de la Navarre” (B.O.N. Núm. 119, de 02.10.85). Ce “Jour”, sorte de fête nationale, avait été établi le 16 août 1982, à la suite de l’entrée en vigueur de la “loi organique de réintégration et d’amélioration du régime foral”. Mais il était alors fixé au dernier dimanche de juin. Ce “Jour” est l’occasion spéciale de nombreuses fêtes officielles, civiles et religieuses. Saint François-Xavier est officiellement le patron de la communauté foral de Navarre.

L’exposition des motifs de la loi du 27 septembre 1985 est ainsi rédigée :

« C’est la coutume de toutes les communautés et la volonté des citoyens qui les composent d’avoir une fête qui, en même temps qu’elle symbolise l’unité et l’identité dans un projet historique commun, soit l’occasion d’exalter particulièrement la personnalité du territoire, de sa culture et de ses habitants. Le respect pour la tradition reçue et la reconnaissance d’un passé propre comme facteur fondamental de la définition des peuples rend souhaitable l’institutionnalisation à cet effet de dates et de motifs fondés sur le patrimoine commun, de telle sorte qu’ils contribuent à fortifier la concorde, la solidarité et la conscience de fraternité qui soutiennent la vie des sociétés.

« La figure de François de Javier est pour les navarrais un exemple éclatant de préoccupation humaine et intellectuelle, de talent tourné vers les autres et vers l’aventure, d’un homme qui ne dédaigna ni les difficultés ni les efforts pour atteindre les zones les plus éloignées de la terre. Saint François-Xavier est le prototype du navarrais universel ouvert aux cultures et aux peuples du monde entier, toujours présent dans les mémoires et toujours admiré par des communautés d’un grand nombre de pays, sur tous les continents.

« La fête de Saint François-Xavier étant instituée de façon permanente au 3 décembre, anniversaire de sa mort, la Communauté foral de Navarre désire lier la norme à la tradition et fixer à cette même date le Jour de Navarre ».

Evidemment, tout cela n’est guère spirituel… On en oublierait presque que saint François-Xavier, qui n’était pas un simple globe-trotter humaniste ou un Nicolas Hulot, était chrétien et qu’il ne s’est porté aux confins de la terre, jusqu’à la consomption totale de sa vie, que pour y porter la parole du Christ. Qu’il suffise, pour mémoire, de rappeler ce qu’un témoin disait de lui : « De jour, il appartenait tout entier au prochain; de nuit, il appartenait tout à Dieu. En cela, il fut véritablement un imitateur (segidor) du Christ qui, prêchant le jour, passait la nuit en prière » (Xavier Léon-Dufour, préc., p. 114).

L’esprit du temps est passé sur la Navarre, comme sur d’autres terres. Il n’en est pas moins remarquable de constater que tout un peuple puisse encore, sous la mouvance de ses gouvernants, trouver à se définir dans son rattachement à un apôtre du Christ.


Patrick Poydenot

signez la pétition des afc pour la défense du mariage